La démarche artistique de Philippe Mailliez
Quelle est sa démarche ?
Depuis 95 Philippe Mailliez cherche à lier le lieu ( son histoire, sa
géographie) et la production de l'œuvre. Ce lien se fait par l'Idée. C'est à
dire que l'artiste présente un processus plutôt qu'un objet fini. L oeuvre
n'est pas ce que l'on voit., elle est ailleurs, elle est dans les rapports que
le regardant établit entre les objets présentés. Ces objets sont à la fois
des traces d'un processus de fabrication et des indices pour une pensée à
venir .
il ne s'agit pas d'un travail sur la représentation paraphrasée, métaphorique
ou allégorique. Nous ne sommes pas ici dans le " representamen" car
ce travail dépasse le symbole qui peut être considéré comme une
représentation statique de l'Idée. Nous sommes ici dans l'ordre du signe "signum"
c'est à dire que ce qui est visible est un résultat. Ceci implique une
présence active de l'Idée. Ce qui est à voir n'est pas uniquement le produit
fini mais le processus même. Ce qui est montré n'est pas ce qui est visible. 2
Le signum permet aussi une réflexion à rebours, si nous
osons ce pléonasme. C'est à dire que l'OEuvre d'art, résultat d'une action et
d'une idée ( ou d'une idée par une action) est aussi une source, un point
déclenchant d'une pensée du regardant.
Ainsi l'Art ne demande pas que le travail du regard; ni même
celui de tous les sens que postulait Beuys ; mais le cheminement d'une conscience
élaborant un savoir dont 1'oeuvre d'Art aura été
la source; le facteur déterminant ...
...L'oeuvre d'art contemporain postule donc Un phénomène que j'appel1erai la "
raisonnance" c'est à dire l'organisation d'un certain nombre de savoirs et
d'actes par et pour lesquels se structure et se réalise 1'oeuvre qui est
par cela même oeuvre d'Art; et non par je ne sais quelle application plastique."
Jean Marie Touratier
"L'autre, le regard, l'espace"
Art
Press n° 220
Le signe joue donc sur 2 registres
1) il est le résultat
d'une action
2) il est un point de départ d'une pensée réflexive (la raisonnance) Le signe
est une articulation entre le travail en amont ( celui de l'artiste en action)
et le travail en aval (travail demandé ou pro- posé au regardant par
l'artiste, c'est à dire une appropriation de ce signe qui joue alors le rôle
de facteur déclenchant ou de catalyseur pour une réflexion personnelle )
Le signe est une articulation temporelle et causale.
Articulation temporelle: le résultat (fin d'une action) / la source ( début
d'une réflexion)
Articulation causale: il permet de mettre en relation la pensée de l'artiste à
travers ses actions et ses productions et la Culture du regardant.
"Le dispositif de 1'oeuvre contemporaine exige dans son ultra matérialité
un sujet qui travaille qui élabore
qui engendre du sens qui accepte ce qui en lui le change par
ce qu'il amène dans ce qu'il voit, pressent, ressent, consent",
J.M. Touratier
La difficulté du travail de Philippe Mailliez est de ne pas
atteindre le symbole. /
Comment une forme peut devenir un signe sans être un symbole ? Comment rester
significatif sans être symbolique ?
À quel moment la forme bascule dans le symbole et se fige ?
Où est la limite ?
Quel peut être le rapport de cette limite avec la Culture ?
Comment l'ouverture permise par le signe se ferme-t-elle dès qu'il devient
symbole ?
De nombreuses questions auxquelles Philippe :Mailliez est
confronté et qu'il rencontre comme autant d'écueils à la mise en oeuvre et au
fonctionnement de sa démarche. il y aune sorte de retenue dans son travail,
cette peur d'en dire trop ou de n'en dire pas assez. il est tentant de charger
sémantiquement un signe. trop lui donner de sens réduit son rôle de
catalyseur permettant une pensée tous azimuts. Le symbole est directif car mono-sémantique. Les sculpteurs du
XIII ème siècle l'avaient bien compris.
La finalité de la démarche artistique n'est donc plus la production d'objets
finis mais de signes déclenchant la réflexion du regardant. C'est une machine
à faire penser, à donner à penser. C'est un travail ouvert, respectueux de
l'individu, loin de la pensée unique, impérieuse. C'est un travail dynamique
sur les conceptions par la manipulation artistique des concepts. Nous entendons
par manipulation artistique des concepts, une traduction analytique des concepts
par le biais de l'Art ou de tout ce qui fait l'Art : forme, contexte,
infrastructure, processus artistique ...
La difficulté du travail
réside parfois dans la force même du lieu (Familistère de Guise, la Forge
d'Asnières), dans le fait que
l'infrastructure (lieu social: habitation, lieu industriel: travail de la fonte,
du fer) n'agit pas en faveur d'une définition artistique de ce qui est montré,
comme une galerie ou un musée pourrait le faire.
Dans les autres interventions, Le contexte lui était plus favorable, il lui
fallut donc s'intéresser soit au processus, soit à la forme : l'esthétique.
la difficulté était de privilégier le processus artistique sans toute fois
délaisser le travail sur la forme pour concevoir et produire des signes et non
des représentations.
Mais peut-on définir une esthétique de l'Art contemporain ? Y a t-il des
canons ?
N'y a t-il pas eu stérilisation de tout canon depuis Marcel Duchamp ?
Qu'est ce qui fait la contemporanéité d'une oeuvre ?
Face à ces questions, le travail présenté à Asnières (en 99, 2000, 2001) peut nous
guider et apporter des débuts de réponses: Philippe Mailliez nous invite,
pendant deux jours, à réfléchir à la question
"Qu'est ce que l'Art contemporain ?".
À cette question il propose la définition de Cyril ]arton qui ale mérite
d'être claire et suffisamment ouverte pour accepter la plus grande partie de la
production actuelle dans le domaine de I. Art contemporain pour immédiatement
prendre ses distances.
Autrement dit la contemporanéité de l'art et de son Concept postule que l'activité
artistique se définit en elle-même performativement sans recourir à des théories
culturelles extérieures à I'art (la
doxa de l'art, la sociologie de l'art, la psychanalyse de l'art, la philosophie de
l'art, l'histoire de l'art). L'art contemporain est l'art qui en se produisant instaure
simultanément et autoréférentiellement l'idée d'art ainsi que l'espace au
sein duquel il est de l'art. Cette intégration d'un environnement sensible
et conceptuel au sein de la pratique est précisément
ce qui fait la contemporanéité.
Cyril Jarton Art
Press n° 222 mars 97
L'installation qu'il a présentée en 99 (Naïade)
pourrait servir de "manifeste", tant elle reflète la complexité de
sa démarche et nous éclaire sur le sens de ses oeuvres.
Philippe Mailliez se met en porte à faux avec la position de Cyril Jarton. En
effet si l'artiste introduit dans sa production un environnement sensible et
conceptuel, il remet en cause la gageur illusoire que l'on peut créer ou
regarder une oeuvre sans recourir à des théories culturelles extérieures.
Pour lui, l'aspect performatif de l'Art contemporain, sans le remettre en cause,
ne peut se concevoir, se percevoir, sans références culturelles (1. L. Austin,
M. Duchamp, Fluxus,... par exemple).
Les références culturelles ont une place importante dans l'œuvre de Philippe
Mailliez. "Naïade" est un exemple particulièrement fort. Sans être
des justifications, alibis ou crédits, elles sont de véritables matériaux
avec lesquels il construit un environnement conceptuel: connexions, raccourcis,
superpositions, rapports conflictuels ou fusionnels. Il les propose sous forme
de signes organisés spatialement. (environnement sensible) en système, dans le
but de provoquer chez celui qui regarde des tensions émotionnelles et
intellectuelles l'invitant ainsi à une réflexion. On retrouve ce même souci
de créer un environnement à la fois sensible et conceptuel en 2001 dans la
forge d'Asnières Art contemporain ou pas ? Le travail de Philippe Mailliez a
beaucoup de difficultés à entrer dans le moule d'une quelconque définition.