Que commence le grand spectacle !
Faire entrer le “spectateur “ en raisonnance, l’objectif de Philippe Mailliez est bien là. Toute son oeuvre depuis 95 met celui qui regarde en recherche de sens.
Dans ses deux dernières installations (Ophélie et Effacement 4.2) les signes se font plus précis, frôlent le symbole, les questions fusent. La Mort, la Naissance, les sujets abordés ne peuvent laisser indifférent et chacun est marqué dans sa chair et dans son histoire par ces événements.
Le texte qui suit est une transcription des explications données par l’artiste aux personnes qui le sollicitaient lors de la présentation de “Effacement 4.2” dans une cave d’Asnières sur Vègre le 1 et 2 juin 2002.
“Ce travail se lit
du fond vers l’extérieur. C’est faire l’expérience d’une naissance,
d’une renaissance, c’est ensuite découvrir Asnières avec des yeux
différents.
Je suis parti d’une
supposition, d’un espoir, celui qu’ont les habitants d’Asnières de
découvrir dans leur église, à gauche de la fresque de l’Enfer, sous l’enduit
une représentation du Paradis. C’est cette recherche d’un paradis perdu,
enduit, recouvert, peut-être même inconsciemment nié, qui m’intéressait.
J’ai pris des
photos de cet enduit que j’ai retravaillées à l’ordinateur afin d’y
faire apparaître des couleurs, des structures ou des matières qui se
rapprocheraient du ciel.
Puis sortant de l’église,
j’ai pris une série de photos des nuages, de la lumière, des couleurs du
ciel d’Asnières puis j’ai inversé la recherche en enduisant ce ciel, en
recouvrant ces nuages de peinture, le barrant, le hachurant, le gribouillant,
le caviardant ... c ‘est à la
fois la perte et la négation.
Le lien avec la cave
se fait par le biais de l’enduit. Cet enduit de la voûte me permet de faire
un glissement entre la recherche du paradis, paradis perdu, supposé, espéré
et la naissance. Le Lieu, ici, est fort, puissant, enveloppant. Sa
configuration, le fait d’être obligé de descendre sous terre
difficilement, de passer ce petit couloir de 4,20m, ce col, le dos voûté, en
faisant attention à sa tête, à ses pieds, à prendre conscience de son
propre corps, de son propre volume, de sa mobilité limitée, pour arriver
ensuite dans cette salle de 30 m2 environ où la température n’est plus la
même, où il fait frais (le i et 2juin il a fait très, très chaud et les
gens souffraient de la canicule) et où on se sent bien, cette sorte de
ventre, m ‘imposaient de proposer un travail sur la naissance. Les mots
prennent un autre relief alors : il s ‘agit d’un travail, comme pour la femme qui accouche, il s ‘agit
d’un acte de naissance.
L’installation qui
est associée au travail sur l’enduit est directement liée à la naissance
: on y trouve un drap blanc et une bassine qui étaient utilisés,
jadis, pour la naissance des enfants, 100 actes de naissance froissés (actes
de naissance de mes 4 enfants (4x25)) et d’un bulleur (source de vie que l’on
retrouvait déjà dans “Ophélie” en mars 2002). La question qui revenait
alors fréquemment était “Pourquoi ces actes sont-ils froissés ?“ Cette question était alors accompagnée d’une recherche des 4 actes
différents que les gens défroissaient, lisaient puis reposaient. L ‘acte
de naître est un acte douloureux aussi bien pour la mère (« Tu
enfanteras dans la douleur. ») que pour l’enfant. Naître c’est
peut-être arriver en Enfer (« l’Enfer, c’est les autres. » Ce
qui impliquerait que le paradis perdu serait dans le ventre de la mère.
Ensuite, à partir
des nuages pris en photos, j’ai fait une série de 9 échographies (les 9
mois de gestation), échographies du ciel que j’ai liées aux algues et à
leur développement dans la Vègre, ici, à Asnières. La naissance d’Asnières
est directement liée à la Vègre en effet, on a construit le village à cet
endroit car c ‘était un gué, on pouvait franchir le cours d’eau
facilement et y jeter un pont.
Ce travail sur les algues continue ensuite avec cette série de 9 photos de mon nombril tirées de la vidéo qui passe sur l’écran de télé. Il s ‘agit d’une sorte de “coucher de soleil” ou plutôt une perte de lumière sur mon nombril. Peu à peu le nombril disparaît, c’est l’effacement, alors que, inversement, l’enfant voit le jour.
“Effacement” c’est le titre que j’ai donné
à cette “exposition “, c‘est
à la fois la disparition (celle du paradis, celle du nombril) mais c’est
aussi le terme médical l’effacement du col qui précède la dilatation et l’expulsion.
Je l’ai appelée “Effacement 4.2” car le col fait 4,20 mètres de la
porte aux marches. Sous ces photos on trouve une trace, une empreinte d’algue
faite avec la même peinture que celle qui m’a servi à faire les enduits
sur les nuages. Si nous retrouvons la couleur, nous retrouvons aussi la forme
de la spirale qui nous amène directement à la proposition suivante.
Il s’agit d’un clin d’œil un peu ironique, à l’esthétique freudienne, à l’égocentrisme de l’artiste. Sur l’écran de télé on peut voir une vidéo un plan fixe de mon nombril avec la lumière du jour qui décroît. Pour regarder ce film je propose de s‘installer sur 4 prie-Dieu... Il s‘agit de réfléchir à notre naissance en effet nous sommes tous pareils, nous avons au milieu du ventre cette cicatrice de notre naissance, cette marque de la séparation douloureuse d’avec notre mère.
Nous sommes tous
pareils mais nous sommes tous différents, c’est pourquoi je propose à
côté, une collection de 400 nombrils que je suis allé chercher sur
Internet, sur des sites pornos, médicaux, des sites de percing ou de
tatouage. J’enregistrais les photos puis je découpais les ventres comme on
fait des césariennes. La photo perdait immédiatement ses fonctions
érotiques, illustratives, documentaires ou publicitaires. Le nombril
regagnait son anonymat et redevenait une chose privée, intime. L ‘intérêt
de la collection, c’est de jouer avec les couleurs, avec les formes, les
textures de peau, elle permet et impose une recherche, un déplacement de l’œil
dans la page : une lecture, une recherche d’indices, de punctum (Barthes).
On passe ensuite à l’expulsion.
Dans le col, on trouve sur les côtés des photos d’Asnières prise en
voiture. C’est une invitation à voir Asnières autrement, une vision
dynamique. Ces photos ne sont pas retravaillées, juste recadrées.
Ensuite vous
renaissez. Retrouvez le village avec des yeux neufs. N’oubliez pas de
pousser votre cri... sinon c’est la fessée!”
Et les gens de pousser leur cri, de retrouver le soleil et la chaleur accablante. L’Enfer, c’était bien dehors.