Le Plaisir du Texte

Roland Barthes

Sade: le plaisir de la lecture vient évidemment de certaines ruptures (ou de certaines collisions) : des codes antipathiques ( le noble et le trivial par exemple) entrent en contact; des néologismes pompeux et dérisoires sont créés; des messages pornographiques viennent mouler dans des phrases si pures qu'on les prendrait pour des exemples de grammaire. Comme dit la théorie de texte : la langue est redistribuée. Or cette redistribution se fait toujours par coupure. Deux bords sont tracés: un bord sage, conforme, plagiaire (il s'agit de copier la langue dans son état canonique, tel qu'il a été fixé par l'école, le bon usage, la littérature, la culture), et un autre bord, mobile, vide (apte à prendre n'importe quels contours), et qui n'est jamais que le lieu de son effet: là où s'entrevoit la mort du langage. Ces deux bords, le compromis qu'ils mettent en scène, sont nécessaires. La culture ni sa destruction ne sont érotiques; c'est la faille de l'une et de l'autre qui le devient. Le plaisir du texte est semblable à cet instant intenable, impossible, purement romanesque, que le libertin goûte au terme d'une machination hardie, faisant couper la corde qui le end au moment où il jouit.