Recherches Plastiques
Que se soit dans les réalisations plastiques, les installations ou les
actions, le travail de Philippe Mailliez est un travail sur la Représentation:
ce que nous nous représentons: nos conceptions.
L'évolution de l'œuvre depuis trois ans peut être perçue comme un passage de
la représentation du lieu (l'estran) traité comme objet par la manipulation
(actions) et par la photographie à la représentation de l'objet (épaves)
traité comme lieu par la cartographie et les fiches descriptives cotées.
Nous sommes en présence d'un mouvement dialectique: à la
fois affirmation d'une identité (lieu, épave) et négation de cette identité
par la représentation.
Le lieu est nié en tant qu'espace, même dans sa manipulation car c'est le
temps qui est montré (voir "9h56/15h54"
96 et "Jalonnement" 97) et
non les distances. L'objet est nié en tant que matière: les morceaux d'épave
ne sont pas présents physiquement en tant que tels ou détournés. L'objet se
charge d'images par la trace et l'empreinte et d'histoires: il devient
"Vestige" par le discours.
La transformation de l'objet en lieu se fait alors par l'association de ces images plastiques et de cette histoire supposée: un passé dramatique (le naufrage) et un futur: la résurrection fonctionnelle (maquettes et sculptures), cette histoire qui nous parle tour à tour d'espoir et de désespoir, d'absence et de présence.
Le travail sur la trace :
1) Le frottage: travail sur papier selon la technique découverte à Pornic par Max Ernst (voir "9h56/15h54" 96).
2) L'empreinte: le morceau est enduit de peinture puis appliqué sur un support rigide et toile (voir "jalonnement"97)
3) Les contours au trait (96), au pinceau (97), à la plume de goéland (98)
4) Les dernières traces ("Construction" 98)
combinent plusieurs techniques et jouent particulièrement sur la lutte
répulsive entre la craie grasse et l'encre de chine, entre la terre et l'eau,
entre le sable et la vague (l'estran)...
La trace devient forme, la forme est pleine. Paradoxalement, le contours ne peut
et ne doit plus être une limite. Il est réalisé avec une plume de mouette
trempée dans l'encre; il prolonge alors la forme dans l'espace, il lui donne un
sens et crée autant le Manque que la Présence.
Réflexions philosophiques
Les préoccupations philosophiques qui ont mené ce travail
plastique
depuis trois ans ont mûri, elles trouvent parfois des semblants de
de réponses mais se transforment aussitôt dans de nouvelles interrogations.
Elles ont porté notamment
(96) sur les limites et le glissement opéré entre le Lieu (l'estran) et le
Temps
(97) sur l'épave et son passé supposé qui, par la trace et la mémoire, font l'Histoire
98 Philippe Mailliez nous propose continuer notre réflexion
sur
notre mémoire, sur notre enfance et nos rêves de gosses, sur nos
abandons, nos échecs ...
mais l'espoir est là :
La résurrection fonctionnelle.
Il nous plonge dans notre histoire, nos regrets et nos oublis,
nos souvenirs et nos remords, et notre désir de croire.
C'est, par l'objet historique, qu'il nous donne à construire une conception
temporelle de la Réalité et de l'espace.
Il donne à la trace l'aspect imprécis d'un passage avec éclaboussures, stries, à la fois trace du geste de l'artiste et parcours et accidents dictés par la forme et par l'objet.
C'est la trace d'un geste imposé.
Interrogeons nous sur notre Responsabilité ou attribuons nous
le Drame à la Fatalité, tyrannie de la Réalité ?
Tyrannie de la Réalité, par les formes, sur l'Art.
Contrairement à 97 où le regard vers le passé se rapprochait du désespoir
(c'était la Déréliction), les oeuvres présentées en 98, parfois plus
sombres (encre de chine noire), souvent plus colorées, sont animées de vie
(d'âme et d'esprit) et sont dirigées vers l'avenir. C'est la résurrection.
Il n'existe pas de frontières entre sa réflexion philosophique de Philippe
Mailliez (sur le Temps et ses traces, notamment) et ses réalisations
plastiques. Si l'idée est première, elle se nourrit de la pratique.
Faut-il prendre les oeuvres présentées comme des réponses ou comme des
hypothèses ? comme des justifications ou des avancées discursives ?
Peuvent-elles se passer de discours ?
Elles ne sont plus de simples traces, ni de simples objets bricolés, I'OEuvre
est ailleurs, dans les rapports, les fils ténus que le spectateur tend entre
une encre, un texte, une photographie, un morceau de bois rongé par la mer, un
bateau fait de trois planches mal ajustées, ses souvenirs d'enfance et ses
peurs d'adulte.
Le raisonnement peut-il vraiment se passer d'images ?