3 lectures possibles des œuvres de Philippe Mailliez

1) La mort fangeuse

La première lecture se fait sur le grand livre du drame humain : l'eau source de vie, l'eau élément de Mort.

L'idée d'une mort fangeuse est devenue pesante, le courant de la Loire ramène toujours l'image d'Ophélie que Sir John Everett MILLAIS avait imposée dans nos mémoires.

Il y a en travers d'un ruisseau un saule qui mire ses feuilles grises dans la glace du courant. C'est là qu'elle est venue, portant de fantasques guirlandes, de renoncules, d'orties, de marguerites et de ces longues fleurs pourpres que des bergers licencieux nomment d'un nom plus grossier, mais que nos froides vierges appellent doigts d'hommes morts. Là, tandis qu'elle grimpait pour suspendre sa sauvage couronne aux rameaux inclinés, une branche envieuse s'est cassée, et tous ses trophées champêtres sont, comme elle, tombés dans le ruisseau en pleurs. Ses vêtements se sont étalés et l'ont soutenue un moment, nouvelle sirène, pendant qu'elle chantait des bribes de vieilles chansons, comme insensible à sa propre détresse, ou comme une créature naturellement formée pour cet élément. Mais cela n'a pu durer longtemps : ses vêtements, alourdis par ce qu'ils avaient bu, ont entraîné la pauvre malheureuse de son chant mélodieux à une mort fangeuse.

William Shakespeare

Hamlet acte IV scene VII

 

Les tombes sheakespeariennes découvertes, sortant de l'eau, léchées par le courant puis les dernières vagues, les épaves dévoilant leurs flancs décharnés, surgissant de la vase, les flammes de l'enfer crachées dans un souffle bestial, filmées par celui qui vit encore : il respire, il a froid, il a peur, il lutte contre le vent, le froid, le noir qui l'engourdissent et l'attirent vers les flots.

« J'ai fait mon film. Les images sont comme je les voulais mais l'heure est restée affichée sur l'écran : ça gâche l'image. J'ai filmé dans le plus gros plan possible les torchères de Donges et sans pied, si bien que chacun de mes mouvements, ma respiration même, ma fatigue due au port de la caméra provoquent un mouvement, un déplacement dans l'espace de l'écran des flammes de l'enfer, des flous dûs à la mise au point automatique. Les rapports entre le vivant et le feu de l'enfer deviennent sinon évidents tout du moins perceptibles, c'est une vision à la fois angoissante et fascinante à la fois permanente et mouvante de la Mort. »…

…« Je reviens de filmer les torchères, il y avait un froid, et un vent glacial. Les images que j'ai faites sont assez différentes de celles de l'autre jour. Le cadrage et l'angle de vue sont les mêmes, certes, mais les couleurs sont plus fortes ici, peut-etre moins subtiles, le contraste est plus marqué la nuit et le feu, le rouge et le noir (tiens ça me dit quelque chose !!). Les mouvements sont là, ceux de ma respiration, ceux de ma crispation dûe au froid et au vent. Ce vent qui renforce encore plus l'atmosphère : c'est l'enfer. Les flammes dansent sur le bruit du vent dans le micro : un souffle, un râle, une respiration presque animale . L'image et le son vont bien ensemble et collent au plus près avec ce que je veux montrer dans l'expo : Une sorte de va et vient entre la vie et la mort par l'eau, une sorte de dialectique aquatique ... Je crois que ce film accompagnera soit la tombe faite avec les pavés soit le landau rempli de sable ... il faudra voir. »

Ph Mailliez (extraits de correspondance)