3 lectures possibles des œuvres de Philippe Mailliez
La deuxième lecture permet un discours sur le temps, celui qui passe et celui qu'on fige, c'est aussi un disours sur l'histoire et la mémoire.
Le temps qui passe c'est l'eau qui n'a pas fini de s'écouler sous le pont de St Nazaire. Toujours différente, toujours la même, c'est le flot éternel. Le temps qui passe c'est aussi notre mémoire et les souvenirs qui lentement s'éffacent, se déforment et nous donnent la conscience du passé.
Le temps que l'on fige, c'est le suicide ou la mort accidentelle, dans les deux cas nous revenons à la mort fangeuse mais aussi à la mort plate de Roland Barthes : la photographie. Ce temps, on veut l'arrêter, on fixe l'instant. Mais, paradoxalement, quelques années plus tard, les souvenirs figés nous font mesurer le temps écoulé, le temps perdu, les temps regrettés. Fixer le temps c'est ainsi se donner des index, c'est baliser nos mémoires mais c'est aussi favoriser les regrets, les remords, les rancoeurs.
...C'est la façon dont notre temps assume la Mort: sous l'alibi dégénérateur de l'éperdument vivant, dont le Photographe est en quelque sorte le professionnel. Car la Photographie, historiquement, doit avoir quelque rapport avec la "crise de mort" qui commence dans la seconde moitié du XIX ème siècle; et je préférerais pour ma part qu'au lieu de replacer sans cesse l'avènement de la Photographie dans son contexte social et économique, on s'interrogeât aussi sur le lien anthropologique de la Mort et de la nouvelle image. Car la Mort dans une société, il faut bien qu'elle soit quelque part; si elle n'est plus (ou est moins) dans le religieux, elle doit être ailleurs : peut-être dans cette image qui produit la Mort en voulant conserver la vie. Contemporaine du recul des rites, la Photographie correspondrait peut-être à l'intrusion, dans notre société moderne, d'une Mort asymbolique, hors religion, hors rituel, sorte de plongée brusque dans la Mort littérale. La Vie/la Mort: le paradigme se réduit à un simple déclic, celui qui sépare la pose initiale du papier final. Avec la Photographie, nous entrons dans la Mort plate.
Roland BARTHES
La chambre claire